On n’évoquait plus que cela : des cartes de membres de parti qui feraient bénéficier de l’argent à leurs détenteurs, des adhésions enthousiastes et soudaines à la veille du scrutin. Le TGV parle de convictions politiques. Les nouveaux membres eux demandent à être payés.
Rakoto (nom d’emprunt) est le 5.340.237e membre du parti Tanora Gasy Vonona (TGV) fondé par Andry Rajoelina. Le nouveau membre, qui habite dans le district de Moramanga, dans l’Alaotra Mangoro, nous dévoile sa carte. Selon ses explications, il aurait été invité à s’inscrire en tant que membre du parti avant le premier tour de l’élection présidentielle du 16 novembre 2023.
« L’inscription s’était tenue à la commune », explique Rakoto. Quelle contrepartie promise ? Rakoto rapporte : « On m’a répondu qu’après les élections, je pourrai recevoir des aides. Mais à ce jour, j’attends toujours. Mais je n’espère rien ».
Le président de ce fokontany, dans le district de Moramanga confirme les bribes d’informations entendues ici et là : « Les dirigeants du parti ont incité les citoyens en âge de voter et ayant leurs cartes électorales à s’inscrire (en tant que membre du parti TGV, Ndlr) auprès de leurs communes respectives ». Lui-même a suivi la consigne : « Je me suis inscrit mais je n’ai pas encore eu ma carte. »
Bien mis en évidence parmi les différents dossiers de la commune, le carnet d’inscription pour les nouveaux membres du TGV n’a presque plus de feuillets. « La mission du parti ne peut être délaissée », a confessé le PDS de cette commune rurale dont nous garderons l’anonymat. Selon lui, les citoyens désireux d’être membres du parti se bousculeraient au portillon. « Nous ignorons les conditions exigées pour devenir membres du TGV, mais ces derniers sont nombreux. Il arrive que nous n’arrivions pas à pas à gérer les inscriptions ».
A Antananarivo, au sein du bâtiment Arena, siège du parti TGV, même procédé. « On a collecté mes informations d’identité, puis on m’a donné un ticket. Après quelques jours, je suis revenue pour vérifier si mon nom figurait sur la liste. J’ai pu récupérer ma carte de membre. Un de nos interlocuteurs nous a dit qu’on va nous appeler pour la suite », a révélé une jeune fille.
A Toamasina, le 5 décembre 2023, c’est une longue file qui se dessine à Tanamakoa Cité Duplex. Ils sont une cinquantaine à vérifier les listes affichées sur le mur d’une maison. Ici aussi, ceux qui ont été inscrits ont eu un ticket orange. Ils recherchent leurs noms, et espèrent récupérer leur carte. « On ne sait pas encore ce qu’on va nous donner mais on s’est seulement inscrit pour avoir cette fameuse carte », nous apprend l’un de ces nouveaux membres.
Quid de cette carte ?
Une rumeur s’est répandue deux jours après élections : cette carte serait une carte bancaire avec laquelle on pourrait toucher de l’argent auprès des guichets. En contrepartie d’avoir voté pour Andry Rajoelina, la somme de 300 000 Ar serait disponible et récupérable via cette carte. Partout, de longues files se forment, les détenteurs de la carte orange revendiquent leurs 300.000 Ar.
Dans certains quartiers de Toamasina, on évoque une promesse de 60.000 Ar par mois tout au long du nouveau mandat de Rajoelina. Si cette information est avérée, le détenteur d’une carte orange pourrait bénéficier de 3.600.000 Ar dans les cinq prochaines années. Une somme colossale, pour des milliers de nouveaux partisans inscrits.
Mais les informations sont différentes d’une localité à l’autre. A Ankadivoribe par exemple, Malalasoa, une mère de famille, raconte : « Avant les élections, Madame Fanja, responsable du parti TGV à Ankadivoribe nous a encouragé à nous inscrire. Elle nous a dit que nous obtiendrons d’abord des t-shirts, des lambahoany et des boubous avant les élections. Nous devions alors voter pour Rajoelina. Puis après les élections, nous obtiendrons de l’huile, un sac de riz et 100.000 Ar. Je suis me suis inscrite et suis allée voter pour Rajoelina car je voulais recevoir cette donation. Après les élections, madame Fanja nous a appris que suite à une nouvelle organisation, les distributions se feront dans chaque foyer ».
Malalasoa nous apprend par la même occasion que certains habitants de son village auraient eu la possibilité de toucher de l’argent via un compte bancaire, en utilisant cette fameuse carte. Mais ni Malalasoa, ni les villageois possédant la désormais célèbre carte orange n’ont reçu les donations promises.
Pour le parti TGV central, ce ne sont que des rumeurs dont l’objectif est de ternir l’image du chef du parti et celle du parti : « Aucune promesse de ce genre n’a été faite aux partisans. Ils ont voté pour Andry Rajoelina par conviction, et ils ont intégré le parti dans l’objectif d’apporter leur contribution dans le développement de Madagascar ». Comment alors expliquer cette vague de revendications de donations et de paiements dès le 17 novembre, au lendemain du scrutin ?
Rumeurs ou pas, le « phénomène » interpelle. L’engouement soudain à adhérer au parti dont le chef est en lice aux élections présidentielles ne peut qu’interroger les consciences. Car si des promesses ont bien été proférées en échange du vote, cette transaction s’inscrit tout simplement dans la catégorie des infractions constitutives d’entrave à la liberté et à la sincérité du scrutin et du vote réprimées par le Chapitre III de la loi organique n°2018-008 du 10 avril 2018 relative au régime général des élections et des référendums. Car les témoignages recueillis le démontrent : les adhérents se sont inscrits (certes volontairement) et ont voté pour le candidat désigné par appât du gain, et non par conviction. Sans ces promesses de dons (illustratives de la corruption électorale), il est rationnel d’imaginer que moins de personnes auraient voté pour Andry Rajoelina. La question se pose de savoir combien de personnes au total se seraient inscrites pour recevoir cette fameuse carte de parti ?
La mobilisation de fonctionnaires, d’agents de l’Etat, tant dans les mairies que les fokontany pour inciter les citoyens à devenir membres du parti interroge aussi quant à la neutralité et la partialité de l’Administration dans certaines localités. Ces infractions resteront-elles impunies ?